Depuis quelques années, la question des héritages familiaux, culturels, historiques et littéraires alimente de nombreuses réflexions dans le champ des sciences humaines1. Dominique Viart observe notamment que la littérature française contemporaine a abondamment investi la question familiale et les problèmes de filiation (1999). Il explique que les récits et romans de filiation « s’écrivent à partir du manque : parents absents, figures mal assurées, transmissions imparfaites, valeurs caduques — tant de choses obèrent le savoir que le passé en est rendu obscur » (Viart et Vercier 2005, 91). Laurent Demanze remarque quant à lui que le récit de filiation « s’élabore […] au confluent de deux héritages, et articule l’un à l’autre le désir de témoigner d’un passé familial, dont le deuil pèse sur la conscience, et la saisie d’un héritage littéraire, à travers lequel l’écriture approfondit son propre questionnement » (2008, 10). Selon Martine-Emmanuelle Lapointe et Daniel Letendre, la littérature québécoise paraît toute indiquée pour aborder les thématiques de la filiation et des héritages, nommément parce qu’elle est « fille de plusieurs parents, héritière de legs nombreux » (2012, 6). On s’intéressera donc au roman De bois debout (2017) de Jean-François Caron puisque la mort du père du personnage principal, Alexandre, oriente la trame narrative de ce récit vers les thèmes de la transmission et de la mémoire, des sujets récurrents chez Caron selon Francis Langevin (2015, 862). Dans De bois debout, le protagoniste semble concilier l’héritage littéraire et familial que lui laisse son père, mais la réalité est nettement plus trouble. Une lecture attentive des discours et des motifs qui accompagnent le legs révèle que c’est cette contradiction entre ces deux héritages qui constitue à bien des égards le moteur narratif. Les deux héritages se superposent : le père est un lettré « défroqué » tandis que le fils est un lettré en puissance. L’analyse cherchera à préciser rapidement ce qu’on entend par récit de filiation pour mieux faire ressortir de quelle façon De bois debout se démarque de la démarche réaliste qui lui est généralement associée. Elle se penchera par ailleurs sur la figure du père pour expliciter l’influence du silence paternel dans la vie d’Alexandre et, par extension, dans la trame narrative du roman. Finalement, il s’agira de confronter les différents discours sur la littérature évoqués au fil du roman tout en démontrant que les lectures d’Alexandre viennent se substituer au silence du père, exerçant, de cette façon, une fonction diégétique dans le récit.
Dans De bois debout, on alterne entre la perspective d’Alexandre, protagoniste et instance narrative, et celle d’un narrateur omniscient employant le discours rapporté pour nous permettre d’accéder à l’intériorité des personnages gravitant dans l’univers du personnage principal. Seuls les premier et dernier chapitres sont narrés à la première personne par Alexandre, bien que sa perspective domine le reste du récit lorsque la narration passe à la troisième personne, comme c’est son histoire et, par extension, celle de son père, qu’on raconte.
La narration est régulièrement interrompue par des adresses aux lecteurs et aux lectrices; les personnages prennent la parole pour commenter le récit ou ajouter quelques précisions. Ces brèches dans la narration mettent en relief la subjectivité propre aux personnages et créent un rapprochement avec le lectorat, comme si les personnages nous contaient eux-mêmes leur histoire. Le procédé permet également une narration épurée, centrée sur la description des lieux et de l’action plutôt que sur celle du passé des personnages. C’est d’ailleurs de cette façon que nous sommes amené·e·s à découvrir l’histoire de Tison — un surnom qui colle à la peau de ce personnage depuis que le feu a déformé son visage, René de son vrai nom —, qui deviendra une figure tutélaire pour Alexandre. C’est chez lui que le protagoniste se retrouvera par hasard après qu’une magouille de son père se soit très mal terminée. Tison recueillera le pauvre jeune homme et l’exhortera à lui raconter son histoire, après avoir partagé des bribes de la sienne directement avec le lecteur3 :
– Tison
Si je pouvais, comme avant, aller enseigner les arts, enseigner dans les écoles, sans que les enfants se mettent à pleurer en me voyant, je veux dire, sans qu’ils se mettent à faire des cauchemars, sans que je me mette à en avoir moi-même. Sans que je revoie mon fils en dix-huit ou vingt exemplaires devant moi, je veux dire, sans que je revoie mon fils, à travers les autres enfants, me regarder avec les yeux vides de celui qui est parti. (Caron 2017, 22)
Ce passage s’avère d’autant plus important qu’en plus d’installer le mystère autour du passé de Tison, il donne de précieux indices quant à l’éventuelle complémentarité des deux personnages : Tison a perdu son fils et Alexandre, son père.
Ailleurs, ce sont les voix des personnages qui interviennent en parallèle de l’action. Ces voix hors champ agissent alors comme des éléments moteurs ou explicatifs. Le père d’Alexandre, par exemple, surgit régulièrement dans la narration, même après sa mort. Ces interruptions servent à nuancer le récit, à y ajouter une profondeur diégétique fondée sur le point de vue de personnages qui ne devraient pas nécessairement être présent·e·s à ce moment-là. C’est notamment le cas lorsqu’Alexandre tente de dresser le portrait de son père pour Tison au début du roman; la voix du père se superpose à la description faite par le fils, comme si le père tenait à se présenter lui-même malgré sa disparation.
Dès lors, plusieurs voix s’entremêlent parfois pour créer un effet de chœur, ce procédé habile permettant de rapprocher des personnages sans qu’ils se côtoient dans l’action. Il s’avère particulièrement utile pour les personnages d’Alexandre et du père puisque la narration nourrit une tension à partir de leur relation, qui oscille continuellement entre le conflit et la symbiose. L’auteur ajoute également à certains de ces passages des indications de mise en scène :
– UN CHŒUR DE VILLAGEOIS
T’as juste à appeler Broche-à-foin, qu’on dit. Il va te faire ça c’est certain, il l’a déjà fait chez Landreville.
– ENCORE DES VOIX, côté cour
Broche-à-foin, il a déjà ça chez Ladouceur.
– ET D’AUTRES VOIX EN PLUS, côté jardin
Broche, il a dû le faire quelque part, peut-être chez les Loyer d’en haut, vérifie. (57)
Le roman de Caron semble ainsi se décrocher du réalisme en morcelant non seulement la chronologie, mais le jeu des voix narratives. De fait, par moments, le roman se donne clairement des allures de pièce de théâtre. Plus encore, la narration laisse parfois place aux personnages pour qu’ils nous racontent eux-mêmes leurs histoires, un procédé en « direct » pourtant relevé comme absent du roman de filiation français par Dominique Viart (2009, 108). La mise en scène de ce chœur, de cette multitude de voix permet d’introduire par la bande des détails importants sur la vie du personnage du père en plus de donner l’impression au lectorat d’apprivoiser ce personnage contradictoire au même rythme qu’il le fait pour le protagoniste.
De bois debout débute avec la mort du père d’Alexandre : « Je l’ai vu mourir. Je viens de voir mourir le père, que je me répète en courant. » (Caron 2017, 9) Stéphane Inkel remarque l’insistance de ce motif dans la littérature québécoise — on peut penser notamment à La petite fille qui aimait trop les allumettes (2017) de Gaétan Soucy —, en précisant que l’absence devient alors le lieu de production d’une parole, la mort permettant l’ouverture d’un espace poétique propre à la voix du sujet (2011, 242). Étrangement, De bois debout est un récit de filiation où les pères sont à la fois absents et omniprésents. La narration réunit plusieurs personnages ayant, d’une façon ou d’une autre, une relation problématique avec la figure du père : Marie-Soleil, la voisine d’Alexandre, a un père violent — c’est d’ailleurs le père d’Alexandre qui volera à son secours —; Marianne, ou Marie-Lune (une amante d’Alexandre), n’a jamais connu le sien; et on spécifie aussi que le père d’Alexandre est un personnage sans famille (et donc sans père) lorsqu’il débarque à Paris-du-Bois. C’est sans compter Tison qui, à l’inverse, n’a pas perdu son père, mais son fils. Autrement, il y a Denis, le policier responsable de la mort du père d’Alexandre, qui ressemble physiquement au père de Marie-Soleil et qui nous parle d’une famille qu’il n’a plus la chance de voir pour des raisons obscures. Alexandre trouvera également en Jean-Pierre, le propriétaire de la bibliothèque où il travaillera sporadiquement durant ses études, une autre figure paternelle, puisqu’on dit qu’il « joue au père avec son employé depuis quelques années » (Caron 2017, 297). Les filiations généalogiques rompues innervent le roman — elles sont le lot de pratiquement tous les personnages — et elles conduisent inévitablement aux questions de la passation et de la perte.
Même si le père du narrateur ne disparaît pas complètement de la narration, il apparaît surtout au travers des souvenirs d’Alexandre. Le roman prend la forme d’une enquête généalogique au cours de laquelle le personnage d’Alexandre cherchera à découvrir qui était réellement ce père « qui est arrivé à [Paris-du-Bois] sans passé. Sans histoires, que celles inventées. » (198) Alexandre nous parle de son père comme « si le raconter lui rendait un peu de vie » (60), mais surtout parce qu’il espère que ses souvenirs lui permettront de s’approprier ce que son père lui a laissé. Ceci se révélera d’autant plus difficile que son père n’a visiblement laissé que très peu d’indices derrière lui :
Le nom d’André Marchant n’apparaissait sur aucun document officiel, pas même sur le baptistaire d’Alexandre, non plus dans les registres de l’État. Et même si Alexandre pouvait jurer qu’il avait été là, même si tous les habitants de Paris-du-Bois pouvaient en faire autant, même s’il avait laissé des traces partout derrière lui, ici un mur de fondation, là un fossé creusé, André Marchant n’avait jamais été plus qu’un fantôme. Mon père était un fantôme. Un fantôme dans un trou noir. Depuis toujours. (243)
Dans un numéro d’Études Françaises consacré aux figures de l’héritier dans le roman contemporain, Martine-Emmanuelle Lapointe et Laurent Demanze affirment que « la littérature d’aujourd’hui s’attache […] à l’inquiétude d’un sujet qui se réapproprie le legs des ascendants et tente d’en reconstruire le récit de manière fragmentaire et fugitive à la fois » (2009, 6). Comment faire le récit de la vie d’un homme à partir de miettes laissées çà et là? Voilà la question à laquelle est confronté le personnage d’Alexandre. Derrière la nécessité de raconter le récit du père se cache en fait le désir de rencontrer ce père plus ou moins inconnu. Paradoxalement, cette quête double se trouve à la fois motivée et obscurcie par la non-présence qui caractérise le père tout au long de sa vie et qui subsistera après sa mort. Plus encore, on peut supposer que la filiation est aussi problématique pour le père, qui n’a pour ainsi dire pas d’ascendants, ou qui semble ne s’en reconnaître aucun.
Dans son article « Le silence des pères au principe du “récit de filiation” », Dominique Viart identifie le défaut de transmission comme étant l’un des traits majeurs des récits de filiation (2009, 97). Selon le chercheur, les errements, les silences et les ratés de la transmission contribuent au développement des récits de filiation en plus d’en justifier la structure fragmentaire ou éclatée. Le personnage d’André Marchant dans De bois debout représente un bon exemple de ces pères « taiseux ». Si les passages où il est caractérisé par son silence s’avèrent nombreux, le silence lui survit même après sa mort : « l’héritage le plus fort du père : son silence. C’est lui qui m’accompagne chaque jour de ma vie, sur lui que je marche, en lui que je lis. C’est une marque profonde : entre guillemets, des points de suspension. » (Caron 2017, 109) Le silence représente davantage qu’un simple trait de caractère. Il constitue un obstacle majeur pour le fils qui tente d’apprendre à connaître son père, et ce, même avant la mort de ce dernier :
C’est ça le mystère du père. Un homme capable d’ouvrir toutes les portes d’une seule main. Capable de comprendre sans qu’on parle. Peut-être y a-t-il un peu de cette compréhension dans ses silences. Un jour, il m’a dit : « Tu vas voir, y a bin des affaires qu’ont dit jamais. » Ces « affaires qu’on dit jamais », ça, il y en a eu. Des affaires jamais dites. Et jamais entendues. (136)
L’incapacité du personnage à communiquer le plus important fait de lui un être profondément hermétique; le roman raconte finalement l’histoire d’un jeune adulte qui cherche désespérément à éclaircir l’énigme de son père. Le récit se voit donc en partie propulsé par ce contraste qui oppose de façon marquée le silence du père au désir du fils de meubler le vide laissé par la figure paternelle. Rapidement, l’enquête policière et les manigances d’André Marchant sont reléguées au second plan, ces passages servant surtout de prétextes pour éclairer les multiples zones d’ombres de la personnalité du père. Leur pertinence narrative repose sur les détails de la vie du père qui y sont dévoilés plutôt que sur les actions qui s’y déroulent. La preuve, c’est qu’on ne saura jamais en quoi consistait précisément la mission dangereuse dans laquelle s’était embarqué le père pour le compte du maire de Paris-du-Bois, comme « s’il ne s’agissait plus tellement de comprendre pourquoi il avait tendu ce piège aux policiers, mais bien de savoir qui il était vraiment » (233). Cette tension qui oppose la prise de parole au silence du père se superpose à celle qui désunit le père et le fils sur la base de leurs intérêts conflictuels et toutes deux constituent des composantes structurantes de la trame narrative du roman de Jean-François Caron.
À l’origine de cet héritage insaisissable et contradictoire, il y a le personnage fuyant et fondamentalement paradoxal du père. Rapidement, on découvre qu’il était connu de tous au village sous le nom de « Broche-à-Foin » parce qu’il jouait le rôle d’homme à tout faire, soit celui qui arrive à régler tous les problèmes avec les moyens du bord. On lui attribue même le qualificatif, légèrement hyperbolique, de « légendaire » dans le titre du chapitre où l’on nous dévoile cette information, ce qui met l’accent sur la popularité du personnage au village. L’histoire du père est nébuleuse : il a quitté la ville pour s’installer dans un petit village entre le Bas-du-Fleuve et les « États » parce qu’il souhaitait « offrir [ses] bras à du vrai monde. Vivre une vraie vie. » (Caron 2017, 204) Il travaillera d’abord à l’usine, comme pratiquement tous les hommes du village, mais devra se recycler lorsqu’elle fermera ses portes. C’est à ce moment-là qu’il deviendra « Broche-à-foin », le bricoleur débrouillard éperdument amoureux du bois où il a entrepris la construction de son camp, un bois « dont il sa[it] chaque recoin, chaque enflure, chaque chenail […], dont il connai[t] chaque arbre par son histoire » (14).
Vers la moitié du roman, on apprend qu’avant d’avoir « les deux pieds bien plantés dans la réalité des gens » (56), André Marchant était un universitaire. Ceci peut paraître surprenant puisque, comme l’indique le récit, « [l]e père, lui, il aime pas les livres » (79). André Marchant a abandonné ses études lorsqu’il a pris conscience de la condescendance de ses collègues : « Souvent, André avait observé d’autres étudiants et il avait ragé contre ce détachement avec lequel ils traitaient leurs semblables. Comme si cette posture de chercheur nécessaire à leurs travaux devait encadrer aussi leurs relations sociales. Il ne voulait pas en être. Surtout pas. » (203) Ce moment charnière explique l’attitude froide du père envers tout ce qui a trait aux livres et à la littérature : selon lui, la vérité ne peut être énoncée, et ce, à l’oral comme à l’écrit — « les mots disent pas la moitié de ce que tu peux vivre » (204). Le père croit ainsi qu’il n’y a rien de plus vrai que le travail manuel. Ce qui choque vraiment le père, c’est l’idée de croire en un livre, comme si la vérité ne se trouvait pas ailleurs, un peu comme le demanderait une religion. À ses yeux, la vérité s’ancre donc plutôt dans une praxis. Il y a, au cœur de la philosophie du père, une valorisation du travail et le sous-entendu que la lecture représente une perte de temps : « L’un des héritages du père. Ses yeux qui deviennent pensifs, tournés vers un horizon qui existe que dans sa tête. Et cette voix, la sienne, d’une profondeur incomparable, qui me dit que, des fois, il faut que tu fasses la job-tu seul. » (17) C’est comme si dans De bois debout, le récit de filiation se construisait à rebours du récit traditionnel d’ascension sociale, du récit d’apprentissage qui a eu tant de force au Québec; il s’agit de désapprendre, ou de passer de la vie intellectuelle à la vie manuelle, de réapprendre le contact avec le bois, la terre, comme on pouvait le faire jadis dans les romans du terroir.
Pour répondre aux exigences de son père et dans l’espoir de se montrer digne de son estime, Alexandre choisit de travailler au village. Au lieu de vendre ses bras, il choisit plutôt d’offrir ses talents de lecteur à la communauté. Parmi ses clients et clientes régulier·ère·s, on trouve notamment l’Ours, un homme qui passe ses journées seul dans sa chambre, honteux de son surpoids et qui ne connait de réel bonheur que lors des visites d’Alexandre : « Alors, il étincelle, il brille comme une immense madone sanctifiée. » (123) Le jeune homme fait également la lecture à son ancienne enseignante de français, « sa première écouteuse » (127), qui lui a appris à faire entendre « les bons silences au bons moments » (127), ainsi qu’aux personnes retraitées qui habitent la maison de l’Amitié, dont plusieurs ne savent pas lire — un secret qu’Alexandre gardera pour lui. Cet épisode acquiert une importance particulière parce qu’il lui permet d’apprivoiser le silence que lui a imposé le père en le transposant dans un monde qui lui est cher, celui des livres. Parce que malgré tout, « le silence fait partie de l’histoire » (115), qu’il le veuille ou non.
Malheureusement pour Alexandre, son père ne verra pas cette expérience d’un bon œil. Il le lui fera savoir un soir d’ivresse. Craignant que son fils ne connaisse rien de vrai à force de s’enfermer dans ses livres et comme si la littérature et ce qui en découle ne pouvaient constituer un gagne-pain convenable, le père jettera tous les livres d’Alexandre par la fenêtre :
– LE PÈRE
Demain, tu te lèves. De bonne heure, tu te lèves pis tu mets tes bottes pis tu vas travailler, tu vas au garage pis tu vas travailler : c’est la saison des pneus. Thiboutot m’a dit qu’il va avoir besoin de toi, pis tu vas aller l’aider, ça fait que, demain, tu te lèves, tu mets tes bottes, pis tu vas travailler pour de vrai, c’te fois là. Mets ton cadran. (234)
Cette colère s’avère d’autant plus blessante pour le jeune homme qu’il pensait s’attirer les bonnes grâces de son père en se rendant utile au village. C’est sans compter le plaisir qu’en retiraient beaucoup de Pariboisiens et Pariboisiennes : le mot avait en effet circulé dans la communauté et, quoi qu’en eût dit le père, Alexandre aimait « ce que les livres faisaient aux gens » (130).
Curieusement, le père décidera d’amener son fils à la librairie lorsque ce dernier recevra sa première paye, mais gardera le silence tout au long du chemin, ne permettant ni à Alexandre ni au lecteur ou à la lectrice d’en apprendre davantage sur ses intentions. Ce passage est important parce qu’il donne à voir un motif récurrent à l’intérieur du roman, soit celui du silence, qui vient obscurcir la transmission sans toutefois la rompre totalement : Alexandre comprend que son père souhaite qu’il travaille, mais le message, en raison de son imprécision sera mal interprété; le jeune homme finira par répondre aux attentes du père, mais non sans y avoir été forcé, et obtiendra finalement la récompense qu’il anticipait le moins, un livre. On perçoit clairement le tâtonnement qui caractérise aussi bien la démarche du père que celle du fils, ce qui n’est pas surprenant compte tenu du fait que, malgré leurs différences évidentes, le père est en Alexandre depuis le début, comme le rappelle la proximité de leurs noms (Alexandre/André).
Le comportement erratique d’André Marchant nous permet aisément d’identifier ses penchants contradictoires, mais également de constater que son antinomie se ressent jusque dans les valeurs qu’il essaie tant bien que mal de transmettre à son fils et que vient embrouiller encore davantage le silence dont il ne peut se départir. Le père, malgré son côté rugueux, est loin d’être un rustre et son désir de léguer son savoir à son fils s’avère sincère malgré les heurts :
Ce que me laisse aussi le père : cette curiosité morbide. Ce souci du détail obscur. « As-tu vu le mouvement de sa tête? As-tu vu le nuage vaporeux derrière Kenneky? La balle devait venir de par-là, je pense. » Ce besoin d’émettre des hypothèses. Et toujours ce regard d’horizon absent, mais plein de science et de compréhension, rivé sur le téléviseur. (20)
Ainsi, on comprend que, d’un côté, il y a chez le père une valorisation du travail manuel et de la vraie vie, celle qui fait appel aux sens, à la concrétude et à l’humilité de notre réalité quotidienne, et de l’autre, le monde imaginaire des livres, l’oisiveté, le temps perdu à lire. Pour le père, les livres ne seront jamais assez concrets, il y a des choses qui ne s’apprennent qu’au contact du vrai monde, des phénomènes qu’il faut sentir pour comprendre. Passer son temps à lire, c’est se limiter aux mots des autres, c’est se priver d’un lien physique et intime avec le monde.
Le père, même s’il associe la prétention aux études, ne se dissocie pas pour autant de cette soif d’apprendre qui l’anime et qui l’a probablement poussé à entreprendre un parcours universitaire. C’est comme si, malgré toute sa bonne volonté, il n’arrive pas à renier entièrement son propre héritage intellectuel; comme s’il résistait à l’illusion de primitivisme, à cette idée naïve qui consisterait à prétendre n’avoir rien appris, n’avoir rien lu. Ainsi, même s’il s’évertue à mettre son passé universitaire derrière lui, le père ne peut s’empêcher d’intellectualiser le monde qui l’entoure, d’en saisir les nuances aussi bien que la poésie, comme le démontrent les nombreux passages où il se recueille devant la puissance tranquille de la nature :
Il doit écouter, lui aussi, la volée d’outardes qu’on a commencé à entendre jacter. […] Dans le silence du bois, aussi. Pour l’homme et son fils, l’instant impose de se taire.
– ALEXANDRE, pense
Le père, il respecte ça, lève pas les yeux, continue de me fixer. (66)
Le père est plongé dans l’univers du travail manuel depuis son départ de l’université, mais il y a quelque chose de forcé dans ce désir de mettre la main à la pâte. Sa femme, Pauline, lui reproche d’ailleurs cet acharnement à « faire des vraies affaires de vrai monde » (123) et lui rappelle que, malgré tous ses efforts, il ne pourra jamais être ce qu’il veut être et qu’il ne peut fuir toute sa vie ce qu’il a dans les tripes.
Ce contraste entre deux personnages entretenant une relation bien différente avec la littérature — le père, un lettré « défroqué » et le fils, un lettré en puissance — rappelle les travaux d’André Belleau portant sur l’influence de certaines conditions socioculturelles sur la pratique de la littérature au Québec. Dans son essai « Code social et code littéraire dans le roman québécois » (2016), Belleau remarque la présence récurrente de cette figure double :
Tout se passe comme si la représentation fictionnelle de l’écrivain, de l’intellectuel, de l’artiste requérait non pas un seul personnage, mais deux personnages aux traits opposés : l’un auquel sont attribués les signes de la culture, du raffinement, de la maitrise du langage, l’autre qui se voit doté de la force instinctive de la réalité. D’un côté le langage sans le réel, de l’autre le réel sans le langage. (182)
Belleau identifie le texte québécois comme un espace conflictuel où le code littéraire transmis par la culture se heurte à la réalité sociale concrète. D’une certaine façon, le père représente ainsi le réel et Alexandre, qui en viendra finalement à enseigner la littérature après des études universitaires, celui qui maîtrise la culture. Le roman de Jean-François Caron illustre également la séparation irrévocable de ce que Belleau appelle le pouvoir-dire et le savoir-dire; le père ne trouve pas, malgré tous ses efforts, les mots pour communiquer son bagage et sa vision du monde à son fils. Ceci est d’autant plus surprenant que le père possède ce savoir — il a fait des études — : son silence n’est donc pas du même ordre que celui des « anciens Canadiens », mais s’explique plutôt par un profond malaise que sa fuite en région n’a pu soulager. Le personnage du père est coincé dans une dynamique conflictuelle qui se nourrit d’une honte paradoxale; il a honte d’avoir côtoyé la culture universitaire prétentieuse, mais également d’avoir pensé que son naïf exil en forêt chasserait ses velléités intellectuelles.
Cela dit, la représentation fictionnelle de l’intellectuel paraît nettement moins manichéenne dans De bois debout qu’elle ne semble l’être dans l’œuvre que l’essayiste prend pour exemple, Au pied de la Pente douce, un roman de Roger Lemelin publié en 1944. Chez Lemelin, l’environnement social est pauvre, rares sont ceux et celles qui sont passé·e·s par le collège; à l’époque d’Alexandre, c’est l’inverse : le « retour » vers une vie plus simple n’efface pas le bagage culturel. Le conflit des codes prend dès lors une tout autre signification : on assiste à un bouleversement de la dynamique observée par Belleau dans le roman québécois des années 1950. De nos jours, la séparation des classes demeure présente dans les discours social et littéraire, mais ne repose plus forcément sur l’opposition entre la culture populaire et celle dite « sérieuse », cette dernière étant paradoxalement plus répandue, mais davantage marginalisée, à l’instar de la littérature4. D’une certaine façon, le personnage du père est un anachronisme dans le roman de Caron puisqu’il adopte un point de vue qui rappelle les remarques de Belleau au sujet du romancier québécois des années 1950 : c’est comme s’il se sentait « obscurément redevable à la nature et [honteux] envers la culture » (Belleau 2016, 157). La désuétude de certaines de ses opinions se retrouve d’ailleurs au cœur du malaise qui trouble la transmission dans le récit; Alexandre n’est pas de la génération caractérisée par ce « souci obsessionnel de la légitimité » (162) , mais plutôt de celle qui fait face à la toute-puissance de la culture de masse.
Le village où se déroule une large part de l’action, Paris-du-Bois, matérialise ce désir inassouvi de légitimité, ce regard constamment tourné vers la France de l’individu en quête de validation. Ce nom de village, plein d’ironie, montre bien que la voix du roman joue sur l’opposition presque caricaturale entre Paris, capitale culturelle, et l’image tout aussi caricaturale de la cabane canadienne, sise au fond du bois. Nous ne sommes bien sûr ni à Paris, ni complètement au fond du bois, surtout qu’Alexandre passe le plus clair de son temps dans ses livres. Plus encore, « le malaise géographique redéploie dans l’espace du paysage les impasses de la filiation » (Demanze 2008, 168). Vers la fin du récit, Tison — humble écrivain, mais grand lecteur — fait une description du village qui n’est pas sans rappeler les remarques de Belleau au sujet de l’écrivain québécois, qui évolue selon lui dans un contexte de double marginalisation et qui se retrouve embarrassé dans son rapport avec les contraintes du code littéraire français. Le discours du personnage laisse toutefois entrevoir l’insuccès de cette reconstruction de la France au Québec, comme si l’idée était vouée à l’échec dès l’origine :
Ce village-là, de toute façon, aurait rien pu devenir. Y a rien, ici. […] Nous autres, on a juste la Petite-Seine. Si un maire avait pas eu la drôle d’idée de faire croire au monde qu’on pouvait se prendre pour un Paris d’Amérique, ça serait une rivière comme n’importe quelle autre. La même rivière plate qu’on voit dans tous les autres villages. Avec même pas de saumons pour la remonter. Des rivières pis des montagnes, y en a partout au Québec. Pis des plus belles que les nôtres. Et c’est peut-être ben correct comme ça. On est peut-être pas obligés de devenir autre chose. (Caron 2017, 341)
Le roman de Caron constitue à certains égards un retour sur le conflit des codes. Il présente une vision très critique de cette culpabilité culturelle qui ronge le personnage du père et, plus largement, de ce besoin de situer la culture dans une légitimité extérieure, une culpabilité qui tourmente le personnage du père jusqu’à faire de lui un homme violent. Ainsi, la résolution du conflit des codes, s’il en est une, ne signifie pas pour autant que la culture ne soit plus « le lieu par excellence du conflit » (Biron 2016, 75).
Sous la carapace râpeuse du père, il y a toujours en trame de fond un passé d’universitaire venu de la ville et une voix pleine de sagesse qu’il n’utilise certainement pas à bon escient, ou du moins pas assez souvent. À l’opposé, Alexandre cherche désespérément à concilier l’héritage manuel que lui transmet son père et son amour de la culture et des livres. Même s’il se sent « comme la bûche qui s’accorde pas » (Caron 2017, 75), il se débrouille plutôt bien avec les travaux physiques, comme le démontre le passage où il coupe du bois avec son père, ou encore son emploi ou garage Thiboutot. C’est comme si, dans le roman de Caron, les frontières entre les deux pôles de cette figure double s’avéraient plus poreuses et que, d’une certaine façon, l’objet de la quête d’Alexandre constituait le dépassement de ce dualisme, l’incarnation d’un entre-deux, une sorte d’intellectuel-manuel.
Les conclusions d’André Belleau confirment la mise en scène répétée de deux personnages, mais le duo se transforme en trio dans De bois debout. Un troisième personnage vient en effet s’ajouter à la dynamique symbolique entre le père et le fils : Tison, pour qui, à l’inverse du personnage du père, la littérature représente la seule vie possible depuis son accident l’ayant isolé de la communauté de Paris-du-Bois. Pour Tison,
[l]e seul vrai monde […], il est ici. Sur les tablettes, des livres de toutes les dimensions, de toutes les couleurs. Des romans, surtout, mais aussi des livres exhibant en couleur criarde le nom d’artistes passés à l’histoire. […] Là dorment ensemble les plus grands et quelques anonymes, sans distinction d’origine, d’époque ou de genre. Ils reposent, patientent, s’occupent à condenser le monde en attendant que Tison, ce brûlé, qui erre toujours par-là, déjà fantôme de lui-même, vienne enfin les fouiller. (86)
Ce personnage occupe une place importante même s’il demeure en retrait. Il incarne la culture, mais sans le côté prétentieux que lui accole le père; il travaille comme journaliste pour un petit journal sans ambition et passe ses journées à lire. Tison, en plus de représenter une figure paternelle pour Alexandre, l’encourage à poursuivre son cheminement en littérature, sans toutefois que cela se fasse au détriment des enseignements du père. Les deux hommes font rapidement connaissance lorsque Tison accueille Alexandre chez lui et ils se lient d’amitié lorsque le jeune homme découvre la bibliothèque de Tison. À partir de cet instant, « quelque chose comme une complicité [se construit] entre eux sur la matière des livres » (77). Cette relation permettra également à Tison de faire le deuil de son fils, mort dans l’incendie qui l’a défiguré. La parenté entre les noms des deux fils (Alexandre/Alexis) facilite d’ailleurs le rapprochement entre eux, comme si l’arrivée d’Alexandre pouvait être interprétée comme la renaissance d’Alexis. Il y a même un passage où la mère d’Alexandre l’appelle Alexis, accentuant encore cette impression de complémentarité entre les deux personnages.
La mise en scène de cette figure double sous la forme d’une sorte de triumvirat constitue un élément important du récit parce que la dialectique qui s’y instaure fait écho au conflit interne d’Alexandre, un conflit entre la voix des livres et la voix du père (laquelle inclut toutefois l’héritage littéraire, mais un héritage dont il cherche maladroitement à se défaire). Paradoxalement, le protagoniste hérite à la fois de la littérature et de sa condamnation : impossible pour lui de la rejeter sans rejeter les deux figures paternelles que représentent à ses yeux Tison et le père. Dans cette optique, Tison agit surtout comme un mentor, comme un catalyseur narratif, puisque c’est lui qui demande à Alexandre de raconter son histoire et qui l’incite par le fait même à se sortir du silence du père.
Alexandre tente de déchiffrer les enseignements parfois cryptiques du père et de se nourrir de ses lectures, sans toutefois se retirer complètement du monde. De fait, il agit à l’encontre de ce que Laurent Demanze remarque dans le récit de filiation, où « l’apprentissage de la lecture […] s’éprouve […] à la manière d’une séparation avec l’univers familial » (2008, 112). Mais la lecture est également une forme de séparation d’avec le père :
– LA VOIX D’ALEXANDRE
Cette envolée de mon père m’est revenue avec une puissance percutante quand j’ai lu Le vrai monde? Cette phrase, qui me fait toujours aussi mal : « Calvaire de p’tit intellectuel! C’est toujours ça que vous avez pensé de nous autres, hein, toé pis ta gang? » Je me suis souvent dit qu’il m’en voulait peut-être, au fond, le père. Qu’il avait pu croire que je rejetais ses choix, sa vie. Que je le repoussais lui-même, chaque fois que j’ouvrais un livre. (Caron 2017, 81)
Ce passage illustre bien la complexité du dilemme d’Alexandre. Le roman donne l’impression que le personnage doit choisir entre l’une ou l’autre des sphères représentées et que, dans les deux cas, il se retrouve perdant. Or, même pris séparément, les héritages littéraires et familiaux ne s’avèrent pas si faciles à assumer. Le père d’Alexandre l’avertit d’ailleurs dès son plus jeune âge des éventuelles difficultés qu’il pourrait rencontrer en affrontant le monde : « En fond de tête, toujours, cet héritage indélébile du père. Une vérité nouée dans les muscles, plaquée sur le corps comme une crampe. Son “ce ne sera pas facile”, tranchant, définitif. » (39) André Marchant transmet cet adage à son fils lors de leur première partie de chasse ensemble, le lendemain du cinquième anniversaire de ce dernier, mais il décrit en vérité l’ensemble du processus d’assimilation du legs auquel Alexandre sera confronté prématurément après la mort de son père.
André Marchant laissera tout de même à son fils, pour l’aider dans sa quête, un précepte qu’il lui ressassera sans cesse avant de mourir; une maxime « qui finira par cicatriser sur les parois du cœur [d’Alexandre] » (53) : « Tu te tais et tu apprends. » (53) En plus de jeter un peu de lumière sur le mutisme obstiné du père — on suppose que c’est de cette façon qu’il a réussi à se faire accepter de ses collègues à l’usine et des gens du village —, cette phrase, qui refait surface à maintes reprises, sous-entend qu’il est possible, à force de persévérance et de patience, de dénouer le nœud des enseignements du père. Pour apprendre à chasser, à couper du bois, à le corder, à bricoler de ses mains, à devenir un homme, il faudra qu’Alexandre déploie « toute la résignation du monde, et cette humilité qui réprime la parole » (54). Derrière l’apparente dureté de ce principe se cache finalement le respect — tout de même oppressant — du père pour la connaissance et le savoir. D’une certaine façon, le silence du père et son besoin d’enseigner la vie à son fils au travers d’expériences constituent sa réponse à une culture qu’il juge prétentieuse. Malheureusement, ce silence est un trou qui avale « les cendres de toutes les bibliothèques brûlées de l’histoire […], la danse, et le théâtre avec » (233). En rejetant aussi brutalement toute forme de culture, le père refuse à son fils le plaisir de pouvoir le suivre dans le monde des idées.
« Engoncé dans le silence de ce père parti, il s’est tourné vers l’unique refuge possible : le livre. Il a étudié la littérature, l’a étudié encore, ne fait que ça. […] Il sentait que c’était le seul moyen. » (Caron 2017, 238) Dans le roman, la lecture comble le gouffre laissé par le père, mais constitue également un outil d’apprentissage qui aide paradoxalement Alexandre à accomplir ce que son père attend de lui : « Dans chaque livre, un nouveau père qui m’enseigne à être un homme. » (102) Alexandre cherche ainsi désespérément dans les livres les mots que son père n’arrive pas à formuler. Ce passage évoque par ailleurs, pour la première fois, l’hasardeuse complémentarité entre les enseignements du père et ceux des livres, ou, à tout le moins, la possibilité de les concilier.
Le problème, c’est que, comme son ancienne professeure de français, madame Desjardins, le lui a fait comprendre, les livres « ne se laissent pas toujours facilement aborder » (118) par Alexandre, notamment parce qu’ils sont porteurs des idées que le monde ne laisse pas découvrir à n’importe qui. Ils s’avèrent ainsi aussi énigmatiques que le legs du père :
– LA MÉMOIRE D’ALEXANDRE
La lecture me laisse parfois des héritages aussi indéchiffrables que ceux du père.
Du livre Le libraire de Gérard Bessette, le mot « capharnaüm », la révélation de ces livres mis à l’index, cette injustice qui faisait écho à la façon que le père avait de m’éloigner de toute lecture, et le détail de cette peinture en couverture où on voyait un homme, jouqué dans une échelle, devant une bibliothèque qui semblait infinie. (81)
Ce passage est important parce qu’il explicite l’influence diégétique des lectures d’Alexandre tout en délimitant sa portée dans le cadre de sa quête5. Ici, la culture livresque est associée tantôt au libéralisme (du propriétaire de la librairie), tantôt à l’indifférence du libraire, qui est « au‑dessus » de la mêlée et intellectuellement supérieur au monde qui l’entoure. Dans De bois debout, cette « supériorité » ne va plus de soi; la culture du père ne sert à rien. D’où la perplexité du fils, qui tient à cet héritage, mais sans trop savoir ce qu’il lui apporte — sauf quand il se trouve devant Tison et quelques autres Pariboisiens et Pariboisiennes, qui boivent ses lectures. L’attitude du père et celle d’Alexandre, nettement plus franche, traduisent un rapport « hésitant, embarrassé, indécis » (Belleau 2016, 20) avec la littérature et, plus largement, avec la culture. Le jeune homme reconnaît dans la censure religieuse décrite par Bessette le comportement du père, un rapprochement peu flatteur même si l’on sait qu’Alexandre ne cherche au fond qu’à se rapprocher de lui. L’enveloppe physique du roman, sa couverture plus particulièrement, soit l’image de la bibliothèque infinie, incarne l’idée qu’Alexandre se fait de la littérature, une idée qui ressemble finalement presque en tout point à celle de Tison :
Tous les livres s’emmêlent dans ma tête, les auteurs fondus l’un dans l’autre. Ils prennent la même voix, parlent la même langue, suivent les mêmes détours. Ils sont, sans bibliothèques, ramassés dans les mêmes pages chiffonnées, empilés et opaques. Mais, parfois, les mots reviennent sans s’annoncer. Comme un livre ouvert au hasard dans un fouillis indicible. Comme s’ils chantaient ensemble. Plusieurs voix. Un seul chant. (Caron 2017, 99)
Tout ce savoir se fond comme s’il n’y avait aucune hiérarchie entre les apprentissages, aucune distinction, et on peut penser que le chant des livres se mêle à d’autres chants. C’est d’ailleurs le cas puisque la mémoire d’Alexandre évoque des écrivains et des écrivaines, des livres aussi bien que des chansons et des artistes. La mention du chant, qui renvoie au sacré et à l’élévation spirituelle, sous-entend que l’art approfondit l’expérience humaine. Même si Alexandre ne se fait pas d’illusion quant à ce que la littérature peut lui amener dans le monde concret du père — « il l’enseigne cette littérature […] comme s’il y avait autre chose à faire quand c’est ce qu’on a étudié » (239) —, les histoires et les mots qui composent les œuvres demeurent les seules façons de garder le père en vie.
Le roman de Caron, même s’il met en scène un personnage qui transcende le conflit des codes, ne réussit pas plus que celui de Lemelin à « donner au discours littéraire imaginaire un statut ferme, assuré, unifié » (Belleau 2016, 26). La perplexité d’Alexandre face à l’attitude de son père traduit plutôt le souhait de dépasser ce « conflit jamais résolu entre la nature et la culture » (Biron 2016, 68), comme si, au fond, les enseignements du père et ceux des livres n’avaient jamais été incompatibles. Cette idée se fait plus insistante au fur et à mesure que le roman progresse. On observe même un rapprochement entre les deux formes d’enseignement, un rapprochement qui s’opère lorsqu’Alexandre réalise que la vérité se situe à la frontière des deux discours :
Chaque fois que j’ouvre un livre, j’entends la voix du père qui m’avertit : « La vie, c’est pas là-dedans, pas dans les livres. »
Longtemps, il a eu seulement tort. Mais aujourd’hui, parfois, je crois qu’il avait aux lèvres un semblant de vérité. Quelque chose qu’il avait saisi, je ne sais pas comment, de l’incapacité du langage à dire ce qui est essentiel.
Le père lui-même était un de ces livres qui ne savaient pas me dire le plus important. (Caron 2017, 134)
Le dernier héritage du père, une bibliothèque construite sur la terre familiale, permet la conciliation des héritages familial et littéraire, en plus de symboliser un véritable rapprochement entre la nature et la culture.
À la fin du roman, Alexandre quitte la ville pour revenir s’occuper du camp de son père où il n’a pas mis les pieds depuis la mort de ce dernier. Il emprunte donc le même chemin que son père avant lui, mais sans renier la culture qu’il est allé chercher à l’université. Il bouleverse par le fait même à nouveau le schéma traditionnel des récits d’apprentissage et d’ascension sociale. Jean-Pierre, le patron de la petite librairie où Alexandre a travaillé pendant ses études, lui remet par hasard quelques livres ayant appartenu à son père. Le jeune homme est alors sidéré de trouver des bijoux, un exemplaire de Forêt vierge folle de Roland Giguère dans son édition d’origine ainsi qu’un Deux sangs, le premier recueil lancé par Miron et Marchand lors de la création de l’Hexagone, tous deux « annotés en long et en large, commentés, soulignés » (Caron 2017, 134). Ce ne sont pas des titres très courants : on aurait compris que le père ait possédé des romans grand public, mais ces deux recueils typiques de l’essor de la poésie québécoise moderne sont des objets assez rares. Déjà, le choix de la poésie plutôt que le roman en dit long : le père n’est pas seulement un universitaire; il a certainement été proche des milieux littéraires en effervescence, d’une certaine bohème québécoise, associée à la poésie du pays. La poésie de cette époque signifiait quelque chose : elle participait au monde, elle construisait le nouveau monde. Le roman de Caron laisse entendre que le mouvement auquel participait le père s’est essoufflé, notamment parce que certains de ses collègues vaniteux se sont isolés du reste de se la société, délaissant peu à peu, on le suppose, l’action pour la complaisance. Le père demeurera profondément déchiré après son départ, comme s’il avait laissé une part de lui-même derrière lui et qu’il était resté coincé dans ce conflit des codes qu’il tentait désespérément de surmonter.
Dès lors, on comprend que le père maîtrisait le code culturel avant de s’en moquer et c’est peut-être justement en raison de ce père qui l’a éloigné des livres qu’Alexandre s’y est tellement intéressé. Le legs du père inclut le livre, car être hostile à la littérature ne signifie pas qu’il soit indifférent à son égard, bien au contraire. La littérature fait partie de lui, elle a contribué, on ne sait pourquoi, à son malheur et il a sans doute voulu éviter à son fils le même malheur en lui conseillant de s’en détourner, voire en le sommant de s’en éloigner. Mais il n’y a pas meilleur moyen d’inciter quelqu’un à regarder dans une boîte qu’en interdisant son accès.
André Belleau observe que « lorsque le code littéraire entre en conflit avec le discours social ou y est mal intégré, c’est le discours social qui subsume, détourne, gauchit à son profit les contraintes du code » (2016, 181). Dans son analyse du roman de Lemelin, il précise que c’est le personnage (Denis Boucher) qui incarne la nature, l’authenticité, l’inné et non le représentant de l’acquis ou de la « lointaine et dangereuse culture » (Jean Colin) qui devient finalement écrivain et qui, si l’on veut, l’emporte. Dans De bois debout, la dynamique est tout autre : le père, un homme fort et habile, le personnage qui représente le mieux la nature — elle est dans son cas déjà colonisée par la culture —, meurt dès la première ligne du roman. Même s’il réapparaît régulièrement dans la narration et que la logique actancielle tend à nuancer favorablement la perception du lecteur ou de la lectrice à son sujet, il demeure déchiré par ce refus violent de toute forme de culture parce qu’il s’est lui-même déchiré en refusant une part de lui-même. Le père cherche à comprendre le monde sans la médiation des livres, comme si la vérité devait s’ancrer dans une praxis, dans le travail. À l’opposé, mais pas tout à fait parce qu’il est lui aussi habile de ses mains et plutôt débrouillard, il y a Tison, journaliste, avide lecteur, rendu timide par l’accident qui l’a défiguré. Sa bibliothèque regroupe ce qu’il appelle ses « gentils classiques » ainsi que des livres qu’on ne peut dénicher à Paris-du-Bois et qu’il est obligé de faire venir par colis (Les fleurs du mal, Justine, L’étranger, les poésies de Lautréamont et de Roland Giguère, par exemple). Ce personnage, qui n’a rien de bien extraordinaire, sera quant à lui caractérisé d’emblée par sa bienveillance et sa lucidité. Plus encore, la suite du récit ne fera que renforcer l’image positive qui s’en dégage : il finira en couple avec Marie-Soleil, la jolie voisine d’Alexandre qu’a secourue le père de celui-ci lorsqu’elle n’était qu’une enfant. Ainsi, Tison, cet être qui se rapproche de la culture, est valorisé par la voix du roman qui fait pratiquement de lui le père adoptif d’Alexandre.
Entre ces deux personnages secondaires oscille Alexandre, un jeune homme profondément sensible qui travaillera dans un garage avant de fouler les bancs de l’université et qui incarne à la fois l’innée et le culturel. D’un côté, il incarne ainsi la « culture première » telle que l’entend Fernand Dumont, celle qui est donnée et fermée sur elle-même, qui évoque la nature même des choses et qui explique d’une certaine façon la philosophie ainsi que le silence du père, car « il n'est pas nécessaire alors de toujours exprimer pour se retrouver dans un monde qui parle de lui-même » (Dumont 1968, 216). De l’autre côté, les livres et l’érudition de Tison rappellent la « culture seconde », celle qui se définit davantage comme un horizon, qui se manifeste à travers l’art et qui permet de « se donner une représentation de [soi] en se mettant à distance de [soi-même] » (36). Pour ce personnage qui ne sort presque plus de chez lui, le livre représente un dédoublement du monde qui permet de se reconnaître, de se voir en société et, finalement, de vivre.
D’une certaine façon, le malaise relié aux difficultés de transmission se ressent jusque dans le physique du personnage : Alexandre prend des médicaments pour calmer son cœur, « qui est tout croche, qui bat tout croche » (Caron 2017, 170), qui s’emballe dangereusement lorsque son père l’amène à la chasse ou encore lorsque ce dernier pique une colère. Le jeune homme fait l’effort de travailler dans un garage parce que, comme le dit le père dans un vernaculaire qui détonne avec son passé d’universitaire, « à’m’ent d’né, faut bien que quelqu’un la fasse la job que le monde fait pas pendant qu’il lit des livres » (85), mais il est évident qu’il est plus à l’aise dans une bibliothèque. Cela est particulièrement vrai dans le cas de celle de Tison, qui lui donne l’impression « d’entrer dans un nid de papier, comme si tous les écrivains du monde étaient les abeilles de cette ruche. Les vagues hésitantes de leurs voix qui vont et viennent bourdonnent dans [sa] vie et dans [sa] tête. » (78) À l’inverse, le niveau de langue du père, son parler appuyé, presque comique même, témoigne des efforts constants qu’il déploie, non pas tant pour se rapprocher de ce qu’il pense être « le vrai monde », mais pour refouler son passé d’homme lettré.
Le camp qu’a bâti le père représente — un peu comme Alexandre —, un « espace insécable entre le réel et la fiction » (394) à l’intérieur duquel la voix du père et celle des livres peuvent dialoguer. Cet héritage ultime s’avère inattendu à la lumière des anciens comportements du père, mais ne fait qu’accentuer le caractère paradoxal et conflictuel du personnage. D’une certaine façon, le père s’est comporté comme ces romanciers québécois qui se censurent pour se rapprocher de leurs lecteurs et de leurs lectrices6. Il a renié son passé universitaire et littéraire pour se rapprocher de ce qu’il croyait être la vraie vie, le vrai monde, mais, ce faisant, il s’est éloigné de son fils, de sa femme et de lui-même.
Même si la narration dépeint le père comme un homme dur et parfois même violent, elle le fait toujours avec nuance. Quelques passages mettent en mots sa vulnérabilité et sa fragilité. Pensons notamment à l’extrait où il visite sa femme mourante à l’hôpital, ou encore à l’épisode de la noyade des deux adolescents. Le père et l’héritage familial qu’il incarne ne représentent pas pour Alexandre « un poids dont il […] faut se défaire pour s’épanouir, mais plutôt un legs imprécis auquel [il] finit par consentir » (Biron 2005, 143) pour les maintenir en vie. À la lumière de cette narration nuancée, il apparaît juste d’interpréter la construction du camp-bibliothèque du père et de son legs en deux temps. La cabane au fond du bois représente d’abord un refuge pour le père, un lieu au cœur du monde, loin des murs de l’institution universitaire et de cette langue qui ne cherche pas à adhérer au monde et à son contenu, mais plutôt « à se constituer […] en un univers propre » (Dumont 1968, 18) qui caractérise la langue québécoise. On apprend à la fin du roman que le père avait commencé à aménager des tablettes dans son refuge, fort probablement dans le but d’en faire une bibliothèque pour son fils. On sait aussi que depuis la mort de sa femme, le père passait son temps dans son « shack en construction sans refaire de signe » (Caron 2017, 221). Il mourra malheureusement avant de pouvoir de terminer son projet et d’en faire part à son fils. Ce n’est que bien des années plus tard, lorsqu’il retrouvera par hasard les livres de son père, qu’Alexandre ressentira le besoin de revenir sur la terre familiale, de mettre les pieds pour la première fois dans ce camp dont l’accès lui avait jusqu’alors été défendu. C’est là qu’il découvre les fameuses tablettes, un legs qui le surprend de moins en moins venant de son père déchiré, mais qui révèle surtout l’importance du passé intellectuel du père, un passé dont il n’arrivait visiblement pas à se défaire et auquel il se voyait constamment ramené par ce fils livrophage. Dès lors, le camp représente l’occasion pour le fils de trouver le chemin de la naissance à partir de la réconciliation, de revendiquer l’héritage confus et sombre que son père lui laisse maladroitement. Dès lors, le camp représente la fin d’une errance et le début du chemin menant à la réconciliation, une réconciliation qui s’appuie aussi bien sur les bras du père qui ont construit ce camp-bibliothèque que sur les livres d’Alexandre : « Tout ce temps j’ai eu des livres sans avoir de place pour les ranger. Et pourtant, tout ce temps j’ai eu une bibliothèque vide à occuper. » (140) Comme il l’indique lui-même :
Je ne suis pas seul. Il y a les voix. Évoquant tantôt le réchauffement guttural de comédiens attroupés dans des loges ou sur la scène baignée d’ombre d’une salle encore vide, tantôt le grondement sourd d’une mer à marée montante ou le rythme guerrier des hakas maoris, muant jusqu’au rugissement […]. Ça glousse, ça vrombit, ça respire autour de moi. Ça vit. Elles se sont suivies, se sont fait écho, ont chanté, récité, murmuré, crié. Le texte à peine commencé, elles étaient déjà nées pour se faire entendre. Elles n’existaient que pour cela : venir au monde. (393)
Dans cette citation, les voix sont convoquées pour leur diversité confuse, celles des comédiens et des comédiennes comme celles des guerriers maoris venus de l’autre bout de la planète. On dirait une répétition générale de voix réunies pour une grande première. Le héros n’est plus seul, il peut naître enfin, parmi ces voix étranges qu’il entend comme Maria Chapdelaine entendait jadis les voix de la patrie. De la sorte, l’extrait rappelle également le perpétuel recommencement du geste fondateur dont parle Nepveu dans L’écologie du réel (1988).
Pour Alexandre, placer la littérature au cœur de la forêt, c’est aussi rapprocher la culture « sérieuse » de la nature, c’est penser la relation entre les discours social et littéraire non pas en termes d’oppositions, mais bien d’échanges. Cette bibliothèque au milieu du bois occupe également une fonction mémorielle parce qu’en permettant un dialogue entre l’héritage du père (représenté par la bibliothèque dans sa dimension physique) et celui des livres qui viennent garnir les « tablettes en bois, solides » (390), elle les maintient tous deux — au même titre que les êtres chers qui entourent Alexandre — en vie :
Le père est assis à la table près de moi. […] Et toutes les voix de cette histoire se retrouvent quelque part autour. Chacune se prépare à jouer son rôle. La mère, qui a troqué sa jaquette d’hôpital contre la dignité d’un tailleur à la Jackie Kennedy. […] Même le petit Alexis à René est debout près de l’échelle du lit. Jean-Pierre, finalement parti avant son canari, s’est aussi joint à mon chœur qui se prend au jeu du vent des conifères. Et d’autres voix venues du village se réchauffent. […]
La mort de tout cela est impossible. Tant qu’est ouvert le livre, la mort n’existe pas. (394)
Le livre est bel et bien le motif qui garantit la filiation, la transmission non pas seulement d’un savoir, mais de la vie. Ancrer la littérature au cœur de la forêt, c’est également légitimer le désir de culture d’Alexandre, c’est faire de la culture — ce « lieu par excellence du conflit » (Biron, 2016, 75) —, non pas quelque chose d’obscène, mais de presque magique. Le livre transforme les souvenirs évanescents en présence(s). Il est le lieu du conflit et, en même temps, l’élément par lequel se résout le conflit (d’où un certain idéalisme dans le roman, le livre étant presque un fétiche). Dès lors, De bois debout investit la distance entre le père et le fils, entre la nature et la culture, pour mieux mettre en lumière la relation d’interdépendance qui les caractérise. Le camp‑bibliothèque résume finalement à lui seul le conflit des codes. Si Belleau disait que le romancier canadien-français avait besoin de deux personnages pour incarner les deux pôles du conflit, Caron, lui, distribue les rôles autour de trois personnages, mais il « symbolise » néanmoins le conflit autour de ce lieu qu’est le legs paternel.
Dans son article « De la compassion comme valeur romanesque » (2005), Michel Biron remarque que certaines fictions contemporaines québécoises peignent « avec chaleur, sur un ton tantôt grave, tantôt léger, des personnages désorientés à la recherche de leur famille » (139). La compassion permet d’aller au fond du malaise, du « vertige » dans lequel évolue l’individu contemporain. Dans ces romans, comme dans De bois debout, « pas question de creuser la distance qui sépare [l’]individu de sa famille ou de sa société, puisque cet individu souffre déjà d’un excès de distance » (146). Alexandre ressemble à cet égard aux personnages de Nicolas Dickner dans Nikolski, Noah et Joyce : tous trois cherchent à éclaircir le mystère de leur origine. Dans les deux romans, le livre a des pouvoirs magiques : il assure le lien entre des personnages qui n’en finissent pas de ne pas se croiser. Alors que la quête des protagonistes de Nikolski tombe un peu à plat, surtout celle de Joyce, Alexandre réussira quant à lui à faire de la distance qui le séparait auparavant de son père un lieu confortable : « J’aurai cinquante-trois ans, soixante, quatre-vingt‑un ans, il viendra toujours de mourir, sera à peine disparu. Et je n’aurai jamais compris que cela : ce trou lové dans sa tête, ce vide, ce fond noir qui me représente. Où j’existe. » (Caron 2017, 392)
On constate ainsi que l’époque d’Alexandre est bien différente de celle qui a vu évoluer le père. Le conflit des codes s’y est d’une certaine façon résorbé pour faire place à l’ambiguïté, au vertige dont parle Biron. Même si le héros de Caron réussit à démêler l’héritage confus que lui laisse son père, ses contradictions ne sont jamais levées : on ne sait toujours pas ce qui l’a poussé à se déchirer ainsi. La compassion qui innerve la production contemporaine ne permet donc pas de « réparer naïvement les choses » (Biron 2005, 146), mais de partager l’expérience authentique des personnages. Le roman de Caron, en valorisant le travail manuel aussi bien que la culture, invite ses lecteurs et ses lectrices à ne pas choisir entre les deux pôles du conflit, de façon à mieux les éprouver ensemble comme un héritage irréductiblement contradictoire.
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