En axant la thématique de son septième numéro sur les diverses relations qui existent entre les objets littéraires et artistiques, Postures souhaitait exposer à la fois la permanence et l’avant-gardisme de la problématique interdisciplinaire. Les questionnements entourant la création de nouvelles disciplines, issues d’un mouvement paradoxal de spécification et d’hybridation entre certains champs d’études, ont pris depuis plusieurs années une importance incontournable. Marquant également le milieu des études littéraires, la réflexion interdisciplinaire invite les chercheurs à reconsidérer les liens entretenus par exemple entre arts et littérature : en témoignent le développement actuel de recherches consacrées entre autres à l’intermédialité et à l’intertextualité, ou encore le rayonnement international d’un centre de recherche comme le CÉLAT (Centre interuniversitaire d’Études sur les Lettres, les Arts et les Traditions).
Les articles qui composent ce numéro ont réussi à révéler, à articuler et à réviser les multiples influences qu’entretiennent les formes artistiques entre elles, en observant les convergences et divergences entre littérature, danse, peinture, cinéma, photographie et théâtre. Au cœur de chaque article, le regard posé sur les œuvres et sur leurs croisements est celui de contemporains plongés dans un milieu où la multidisciplinarité est de plus en plus en vogue. Néanmoins, une évidente distanciation critique par rapport à cet effet de « mode » caractérise la démarche des auteurs, ayant mené d’une part à l’analyse des emprunts et des échanges entre différentes œuvres, d’autre part à la théorisation de leurs interinfluences. Mais, avant tout autre considération, ces lectures singulières convergent en un même point : éclairer le caractère plurisémique des œuvres à l’étude, démontrer en elles la profondeur créée par un enchevêtrement inextricable de sens, de formes, de possibilités.
L’article de Simon St-Onge amorce ce dossier en proposant une réflexion théorique sur la formation d’espaces esthétiques au sein des œuvres artistiques. Qu’elle soit littéraire ou visuelle, l’œuvre y est abordée en tant que médium : caractérisée par son épaisseur, sa « profondeur », elle fait coexister plusieurs espaces entendus comme lieux où se dépose un réseau de significations et où une expérience est possible. Dans « Imaginaire de l’écran », Amélie Paquet analyse la co-présence de qualités médiatiques propres à la littérature et au cinéma dans le film Prospero’s Books (Peter Greenaway), relecture de la pièce shakespearienne The Tempest. Accordant une attention particulière à la matérialité et à la textualité qui passent par les images du film, elle remet en question les frontières établies entre la littérature et le cinéma. Angelune Drouin et Martin Legault portent à leur tour un regard analytique sur la médiation au sein de l’œuvre filmique eXistenZ de David Cronenberg (inspirée du roman Crash de J. G. Ballard), cette fois dans le but de cerner l’importance qu’y joue le motif du corps. Réfléchissant sur la présence de l’image-simulacre dans le film, les deux auteurs insistent sur le rôle médiatif du corps et le rapport à la technologie qu’il sous-tend.
Si les auteurs des textes précédents ont choisi d’axer leur recherche sur la démonstration du caractère intermédial de productions artistiques, d’autres se sont davantage penchés sur l’expérience qui se trouve médiatisée à travers l’œuvre. Réalisée par Myriam Dussault, l’étude du Singe Bleu d’Esther Valiquette propose une réflexion sur l’expérience sidéenne et sur son témoignage. L’itinéraire du mourant ainsi que le processus de la disparition et de la perte y sont abordés à travers les qualités matérielles de l’image. L’article d’Ariane Fontaine est également centré sur l’expérience — celle de la création artistique — de même que sur le spectacle. Se basant sur Déroutes de Mathilde Monnier, l’auteure instaure un dialogue entre la littérature et la danse contemporaine. La mise en parallèle de l’écriture littéraire et de l’écriture chorégraphique permet d’esquisser plusieurs traversées et échos entre les deux pratiques artistiques.
À travers « La sublime grimace de Quasimodo », Sophie Dumoulin nous convie aussi à penser les relations entre la littérature et le spectacle, par le biais de l’analyse de la théâtralité dans un passage de Notre-Dame de Paris. L’auteure porte une attention particulière aux procédés employés par Hugo éclairant le caractère carnavalesque de la scène, afin d’articuler une réflexion sur la présence de l’esthétique carnavalesque-grotesque dans une œuvre du Romantisme. Le texte de Julie Lachapelle procède pour sa part à la comparaison de quelques œuvres issues du naturalisme pictural et de l’impressionnisme zolien, suggérant plusieurs affinités entre peinture et écriture. L’ensemble des liens tissés par l’auteure conduit à penser une cohésion entre les techniques et les visées des écrivains et des artistes du XIXe siècle. À l’instar des analyses précédentes, celle de Gabrielle Demers s’intéresse au travail de l’artiste pour y déceler l’influence d’autres disciplines artistiques, mais cette fois chez l’auteur québécois contemporain Paul‑Marie Lapointe. Cet article, qui conclut le dossier, se consacre à l’étude du « texte-tableau » dans Le Vierge Incendié, et souligne l’influence des arts visuels transparaissant ici à travers le jeu sur la typographie, la composition des recueils et le type de métaphores employées.
Cette année, Postures propose en outre une nouvelle section intitulée « Collaboration spéciale » pour compléter son dossier sur la problématique « Arts et littérature ». Les deux articles présentés inaugurent, dans le cadre de la revue, un échange interuniversitaire des plus fructueux entre jeunes chercheurs de l’UQAM et de l’extérieur du Québec. Par son analyse de l’écriture picturale dans les nouvelles de Théophile Gauthier, Marie Fournou poursuit la réflexion sur les relations entre texte et image entamée dans le dossier. Caractérisée par son interartialité, la poétique gautiériste analysée par l’auteur rejoindrait la notion d’« art total ». Avec « Nadja. Images désir et sacrifice », Magali Nachtergael élabore finalement les interrelations entre le vu et l’écrit, se penchant cette fois sur le rôle de l’image photographique chez André Breton. Loin d’être purement illustratives, les photographies de Nadja participent au mouvement de l’écriture et instaurent un va-et-vient entre texte et image. À travers plusieurs thématiques de l’œuvre, notamment l’errance et le désir, le texte propose un retour sur les qualités de l’image, puis questionne les limites de la représentation et du témoignage.
Nous profitons de l’espace intermédiaire qu’offre la présentation afin de remercier tous ceux et celles qui ont participé à la construction de ce septième numéro. Nous aimerions d’abord souligner le travail exceptionnel de toutes les équipes ayant œuvré à faire de Postures, depuis sa création en 1997, un espace de collaboration sans précédent pour les jeunes chercheurs; nous pensons entre autres à Michel Nareau et Cynthia Fortin qui ont réalisé les cinquième et sixième numéros de la revue. Nous tenons aussi à remercier les auteurs des articles composant ce numéro, qui se sont investis avec un grand professionnalisme. Il en va de même pour tous ceux qui se sont impliqués dans la rédaction, la correction et la logistique du dossier : leur rigueur et leur soutien méritent d’être cités. La réalisation matérielle de la revue aurait été impossible sans l’expertise de notre infographiste et photographe, Alexandre Lapointe. Et nous ne pouvons qu’exprimer notre gratitude à Johanne Villeneuve, professeure à l’UQAM, dont la participation à ce dossier a été des plus stimulantes. Finalement, nous adressons un remerciement particulier à nos lecteurs et lectrices, qui rendent possible un projet fort significatif pour les étudiants-chercheurs de l’UQAM en partageant leur enthousiasme, mais surtout en leur permettant, à travers Postures, d’entrer de plain pied dans les débats intellectuels marquant le milieu littéraire contemporain.
Lemoine, Geneviève et Mello, Marie-Hélène. 2005. «Présentation - Arts, littérature: dialogues, croisements, interférences», Postures, Dossier «Arts, littérature: dialogues, croisements, interférences», n°7, En ligne <http://revuepostures.com/fr/articles/lemoine-mello-7> (Consulté le xx / xx / xxxx). D’abord paru dans : Lemoine, Geneviève et Mello, Marie-Hélène. 2005. «Présentation - Arts, littérature: dialogues, croisements, interférences», Postures, Dossier «Arts, littérature: dialogues, croisements, interférences», n°7, p. 5-8.